vendredi 21 décembre 2007

Le Tchad serait-il donc déjà un Etat démocratique?

Dans sa réponse aux voeux du Comité Islamique à l'occasion de l'Eid al Adha (Tabaski), le Président Idriss Deby Itno dit : "Trop de liberté tue la liberté. Avec trop de libertés, nous retombons dans le désordre. Trop de démocratie détruit la société. Quand je dis que trop de liberté tue la liberté cela veut dire que, vous tuez la liberté de l’autre en exagérant de votre liberté. Le moment est venu pour que chacun reconnaisse le droit et travaille dans le respect de l’autre, dans le respect de la loi. Et qu’avec la démocratie dans cette limite permise, chacun travaille et s’exprime."

On serait tenté d'applaudir ces remarques du Président Tchadien, si seulement la démocratie avait pris racine au Tchad comme cette déclaration le fait croire. La réalité est tout autre. Le Tchad est un pays qui se cherche. Certes plus de 80 partis politiques sont enregistrés et légalisés mais comme le faisait remarquer il n'y a pas longtemps l'ancien Premier Ministre Alingué Bawoyeu, la plupart de ces partis sont dirigés par des tchadiens de la zone méridionale. Cette situation pose déjà un problème qui trouve son pendant dans le recours aux armes des compatriotes du Nord qui, eux, sont privés de cette liberté de créer des partis politiques qui pourraient concurrencer le Mouvement Patriotique du Salut.

Dans un tel contexte, peut-on parler de démocratie et de liberté? Certainement non et pour cause. La démocratie, si elle existe, doit être l'affaire de l'ensemble de la communauté nationale sans distinction. Il suffit de se référer à la définition de ce mot grec : "le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple." Si une partie du peuple est exclu du processus, on peut aisément conclure qu'il y a vice de forme.

Quant à la liberté, elle est un droit fondamental de l'homme. Evidemment, elle s'exerce dans le cadre de la loi et comme on le dit assez souvent, "ma liberté s'arrête là où commence celle des autres." Encore faudra-t-il que cette liberté soit respectée! Ce qui n'est pas souvent le cas au Tchad où certains tchadiens ont plus de droits que d'autres ou, en d'autres termes, certains se considèrent plus tchadiens que d'autres. Nous vivons cela tous les jours.

Si un journaliste écrit un article qui prête à caution, dans un pays normal, on n'envoie pas les policiers l'enlever de chez lui et on ne ferme pas son journal. Les règles démocratiques exigent que les personnes visées portent plainte et que le journaliste soit entendu selon la loi. En allant enlever le journaliste chez lui et en décidant de la fermeture de son hebdomadaire, les autorités donnent une fois encore la preuve que le Tchad est encore loin de la démocratie.

Par ailleurs, si les tchadiens de toutes conditions sociales étaient libres, si le Tchad était déjà une démocratie, les querelles ne déboucheraient certainement pas sur la lutte armée. C'est parce que les mécanismes de dialogue ne fonctionnent pas que les compatriotes sont obligés de recourir aux armes surtout que le système politique qui devrait permettre l'alternance des hommes à la direction du pays est bloqué. On constate, et c'est un constat et donc pas une critique, que le pouvoir d'Etat est confisqué au profit d'un homme.

Dans ces conditions, il y a lieu de faire un examen retrospectif pour prendre un nouveau départ. Sans une telle approche, la guerre civile que le Président Idriss Deby Itno dit vouloir éviter au pays en allant lui-même diriger les combats à l'est ne sera pas évitée. C'est en ayant cela à l'esprit que nous appelons au dialogue inclusif de paix.

Ce dialogue de paix devra être l'occasion pour les participants de dire pourquoi le Tchad ne connait pas de paix de plus de 40 ans. Une fois les causes identifiées et avec l'aide des organisations internationales et régionales et des pays amis, les tchadiens devront pouvoir penser autrement leur pays pour vivre, ensemble, dans la paix et la concorde nationales. Il ne s'agit pas là d'une simple vue de l'esprit. Les nombreuses voix qui s'élèvent pour appeler à ce dialogue ne sont pas que celles des opposants au Président Idriss Deby Itno et à son régime.

Dans ce chapitre, le message de Noël des évêques du Tchad pose très bien le problème et nous offre aussi des voies de solution. Nous devons non seulement prier pour la paix mais la vouloir au plus profond de nous-mêmes. Parler de paix en se donnant des baisers de Judas n'apportera pas la paix. Nous en avons suffisamment vécu des exemples pour le savoir.

Et lorsqu'on aime son pays, on doit être prêt à tous les sacrifices, non pas seulement en allant faire la guerre, mais aussi en prenant les décisions les plus courageuses, y compris l'abandon d'une partie des prérogatives présidentielles qui posent le problème de l'exercice abusif du pouvoir. C'est aussi cela l'abnégation et le renoncement de soi si c'est ce qu'il faut pour que le pays connaisse enfin une paix durable.

mardi 4 décembre 2007

Tchad : Succession de catastrophes.

Le Tchad connut sa plus grande sécheresse dans les années 1970. Nombreuses furent les victimes, notamment les populations du Sahel tchadien et plus particulièrement le bétail. Certains éleveurs nomades durent se convertir en agriculteurs sédentaires. Au milieu des années 1980, un nouveau cycle de sécheresse s’abattit à nouveau sur le pays. Depuis, les pluies sont devenues capricieuses. Bon an, mal an, des régions du pays connaissent des poches de disette, de fois carrément de famine.

Pendant cette même période, la guerre civile qui fut déclenchée suite à la révolte des Moubi de Mangalmé en 1966, suivie par l’entrée en rébellion des Toubous au Borkou- Ennedi-Tibesti connut une nouvelle flambée, surtout à partir de 1976 lorsque, dotée d’armes plus sophistiquées, les Forces Armées Populaires alors dirigées par M. Goukouni Weddeye prirent successivement la localité de Bardai et la grande palmeraie de Faya.

Trois ans plus tard, à la suite de divergences entre le Président Félix Malloum et son Premier Ministre Hissein Habré – qui avaient conclu une entente sous la médiation du Soudan et formé un Gouvernement d’Union Nationale (GUN) avec à l’appui une Charte Fondamentale définissant des pouvoirs ambigus entre les deux chefs de l’exécutif - la guerre engloutit la capitale Ndjaména. La destruction de la capitale sera totale lorsque les troupes fidèles au Président Goukouni Weddeye à qui le Général Malloum avait passé le pouvoir en juillet 1979 suite aux accords inter-tchadiens de Lagos durent s’affronter pendant neuf mois avec celles d’Hissein Habré, qui occupait le poste de Ministre de la Défense dans le Gouvernement d’Union Nationale de Transition (GUNT). Ce qui restait du GUNT ayant fait appel aux troupes libyennes, les Forces Armées du Nord furent contraintes à quitter la capitale en décembre 1980 pour revenir à l’assaut quelques mois plus tard, réussissant à renverser le GUNT le 7 juin 1982, malgré la présence des forces de l’Organisation de l’Unité Africaine dans le pays.

Huit ans plus tard, l’ancien chef d’état major général et ancien conseiller militaire d’Hissein Habré le renversa à son tour le 1er décembre 1990. Ses compagnons le portèrent à la tête de l’Etat et Idriss Deby Itno, puisqu’il s’agit de lui, promit aux tchadiens la démocratie. Le pays se mit à espérer. Des partis politiques se formèrent ainsi que des associations de la société civile. Les journaux indépendants font concurrence aux médias d’Etat. Mais la démocratie promise se transforma rapidement en multipartisme sans démocratie. Certes les partis existent. Une conférence nationale souveraine fut même convoquée qui débâtit pendant trois mois de l’avenir du pays en mettant en place un gouvernement qui devait préparer le pays aux élections libres et transparentes. Le Premier Ministre élu, Dr. Fidèle Moungar, sera déposé par le Conseil National de la Transition six mois plus tard. La transition aura vécu ! La constitution dont la conférence nationale avait donné les grandes lignes ne sera qu’une pâle copie de ce que les tchadiens attendaient. Elle fut néanmoins adoptée avec un article consacrant la limite des mandats présidentiels.

Entretemps, le pays assistait à des rébellions sporadiques : le Ouaddai et le sud du pays eurent leurs lots de massacres avant et après la transition, suite à la dissidence du Front National du Tchad au Ouaddai avec le Dr. Harris et du CNSPD au Sud avec le Lieutenant Ketté puis le Lieutenant Laoukein Bardé. Les élections qui eurent lieu en 1996 furent jugées libres et transparentes par les observateurs internationaux. Les résultats ne furent pas tout à fait ceux constatés dans les bureaux de vote. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, les partis politiques acceptèrent de contribuer à la gestion du pays dans le cadre de la « démocratie consensuelle et participative. » Cinq ans plus tard, le Président Deby eut droit à son deuxième mandat qui devait aussi être le dernier.

Entretemps, suite aux frustrations, le Ministre de la Défense, ancien Ministre de la Justice, Magistrat intègre s’il en fut, Monsieur Youssouf Togoimi entra en rébellion contre le régime et créa le Mouvement pour la Démocratie et la Justice au Tchad (MDJT) dans le massif du Tibesti. Des combats meurtriers opposèrent les troupes gouvernementales aux combattants du MDJT. Mais en mai 2002, sous la médiation de la Libye, Youssouf Togoimi accepta un accord de paix. Revenu sur le terrain pour expliquer l’accord aux combattants, il sera victime d’une mine qui semble avoir été posée à dessein sur son chemin. Evacué à Tripoli, il recouvrait plutôt bien et on s’attendait à sa sortie prochaine de l’hôpital mais en septembre 2002, les tchadiens furent abasourdis d’apprendre les nouvelles de son décès. A ce jour, les tchadiens attendent toujours que le Gouvernement Libyen rende sa dépouille à sa famille.

En novembre 2003, le Mouvement Patriotique du Salut tint son congrès à Ndjamena. A l’issue du congrès, il fut recommandé la modification de la constitution de mars 1996, notamment l’article relatif à la limitation du mandat présidentiel. L’ambassadeur du Tchad aux Etats-Unis, ancien collègue de lycée et compagnon de maquis du Président Deby, M. Ahmat Soubiane Hassaballah écrit une lettre à son ami lui suggérant de ne pas modifier la constitution comme le MPS l’y invite et de tenir ses promesses faites en 2001 dans ce sens. Comme toute réponse, Soubiane fut relevé de ses fonctions et une année plus tard, les portes de la résidence furent cassées sur lui par son remplaçant et il dut demander asile aux Etats-Unis.

Pendant ce temps, une rébellion Zaghawa venait de naitre au Soudan dont Idriss Deby était soupçonné d’être le géniteur. Les soudanais donnèrent à leur tour des moyens à certains dissidents tchadiens qui étaient sur leur territoire. D’abord le Rasemblement pour la Démocratie et la Liberté puis le Front Uni pour le Changement du Capitaine Mahamat Nour Abdelkerim qui parviendra même aux portes de Ndjamena en avril 2006, puis l’Union des Forces pour la Démocratie et le Développement du Général Mahamat Nouri, ancien Ministre de la Défense et ancien Ambassadeur du Tchad en Arabie Saoudite ; le Rassemblement des Forces pour le Changement de M. Timan Erdimi, ancien Directeur de Cabinet d’Idriss Deby ainsi que d’autres groupes tels la Concorde Nationale Tchadienne de Hassan Aldjineidi, le CAR du Dr. Albissaty, le FSR de l’Ambassadeur Soubiane, etc… et d’autres groupes armés n’ayant pas de lien connu avec le Soudan dont notamment celui du Colonel Adoum Yacoub Kougou, du Colonel Djibrine Dassert, du Colonel Mbailemal, de l’ADR de Younous Ibedou maintenant dirigé par le Commissaire Ehémir Néné, le MOSANAT, etc., etc., etc…

Certes, des accords furent signés à Tripoli entre le Gouvernement tchadien et le FUC et plus récemment à Syrte entre la CNT, l’UFDD, le RFC et l’UFDD/Fondamentale, mais ces accords qui promettent des postes dans le gouvernement aux signataires ne posent pas le problème fondamental, à savoir pourquoi les gens ont pris les armes contre le régime d’Idriss Deby Itno. Evidemment, tant qu’une réponse ne sera pas trouvée à cette interrogation, de nombreux accords peuvent être signés mais le Tchad ne connaitra pas la paix. Comme un malade, le mal du Tchad doit être diagnostiqué. C’est une fois le bon diagnostic posé que les solutions adéquates peuvent être proposées, acceptées et mises en œuvre. Autrement dit, la succession de catastrophes naturelles et dues à l’homme continuera si les tchadiens n’identifient pas les causes des différentes révoltes et ne se promettent d’éviter la répétition de ces causes.

Et pendant que les tchadiens se massacrent, le Lac Tchad se meurt et avec le lac, la population alentour qui devient de fait réfugiée écologique. Le projet de diversion des eaux de l’Oubangui vers le Chari pour prévenir l’assèchement total du Lac dans une dizaine d’années ne connaitra de début d’exécution que lorsque le Tchad retrouvera la paix.

Comme si toutes ces catastrophes ne suffisent pas, depuis quelques mois, le Tchad est le pays le plus chaud (chaleur climatique, s’entend) du continent. Comme un article humoristique sur le site Tchadactuel le faisait ressortir il y a quelques mois, le Tchad serait-il déjà en enfer ?

Chers compatriotes ! Méditons sur ces successions de massacres et de catastrophes ! Prions pour la paix et surtout, pour la concorde nationale !

Favitsou Boulandi (Peacenik)
fboulandi@gmail.com
http://boulandi.blogspot.com

lundi 3 décembre 2007

Tchad : Une paix globale et durable est possible

Tchad : Une paix globale et durable est possible.

La semaine qui s'achève a été très riche en évènements malheureux d’une part avec les combats fratricides et meurtriers, pleins d’espoir pour ceux des tchadiens qui, comme moi, croient fermement à la possibilité pour les ressortissants du pays de Toumai de s’asseoir et, ensemble, s’entendre sur un programme minimum qui relance le processus de démocratisation et de développement socio-économique du Tchad, d’autre part.

L’espoir est fondé sur les déclarations convergentes du gouvernement tchadien et de la rébellion. Si le Général Mahamat Nouri, Président de l’Union des Forces pour la Démocratie et le Développement (UFDD) se prononce clairement pour une table ronde inclusive, le Gouvernement, de son côté, réitère sa volonté de paix tout en déplorant que tant de sang tchadien soit versé.

Optimistes, nous voyons un point commun dans ces différentes positions, notamment la nécessité d’une paix globale et durable, se dessiner. Il nous faut, en conséquence nourrir cette convergence pour qu’elle prenne véritablement vie et nous conduise rapidement au dialogue inclusif que tous appelons de nos vœux.

En recherchant ce dialogue, nous devons nous convaincre d’une chose : le sens du compromis dans l’intérêt supérieur du Tchad et des populations tchadiennes. Ce sens du compromis doit représenter pour tous un point d’honneur. Accepter de rechercher ensemble les voies, qui nous ramènent enfin la paix durable après toutes ces années de guerre fratricide, ne saurait être interprété comme une faiblesse. Les faibles sont ceux qui préfèrent voir leurs frères mourir dans ces combats fratricides et n’explorent pas toutes les voies de compromis permettant au Tchad d’avancer comme les autres pays. Ce sont aussi ceux qui sont tellement imbus de leur complexe de supériorité qu’ils méprisent les autres compatriotes.

L’histoire a voulu que plus de 200 ethnies se retrouvent, dans leur diversité, sur ce territoire qu’est le Tchad. A moins de vouloir refaire l’histoire, nous n’avons pas d’autre choix que de nous accepter en frères et sœurs partageant le même territoire au climat ingrat.

Depuis 2003, Dieu a béni le Tchad avec la mise en exploitation des champs pétroliers du Logone Oriental. De mémoire de tchadien, le pays n’a jamais encaissé autant de recettes. Si nous pouvons nous entendre pour une gestion et des investissements sains de ces ressources pour le plus grand bien des populations, si nous acceptons que l’alternance politique est la voie de salut pour notre pays, nous devrions pouvoir vivre en paix les uns avec les autres et avec les pays voisins.

Le dialogue inclusif de paix doit pouvoir nous emmener à nous respecter mutuellement et à nous entendre sur un compromis minimum qui nous aidera à tourner une nouvelle page de l’histoire du Tchad, une page vierge où nous inscrirons dans les faits les paroles de notre hymne national « … debout et à l’ouvrage », levant les yeux car l’avenir est à nous ! Nous pourrions alors être joyeux et pacifiques ! Quoi de plus beau et noble que de se donner la main pour ensemble construire l’avenir afin de laisser à nos enfants un Tchad meilleur que celui que nous avons connu ! Dépassons-nous et avec un peu de bonne volonté et le sens aigu du devoir, nous y arriverons certainement !